Tribune libre de David Gruson

Le sens d'une Parole d'Etat : le CHU de La Réunion mérite d'être défendu

  • Publié le 20 février 2017 à 13:27

J'ai pris connaissance de la communication développée jeudi dernier par François Maury, directeur général de l'ARS Océan Indien, autour du rapport de l'IGAS concernant le CHU de La Réunion. Le procédé est original : communiquer par voie de presse sur un rapport concernant la situation d'un établissement hospitalier sans associer ce dernier. Je n'ai pas souhaité réagir " à chaud " pour permettre au CHU, qui avait donc été privé d'expression, de réagir dans un premier temps. Cette manière de faire du directeur de l'ARS a, au moins, le mérite d'inviter à un premier droit de réponse public tant la présentation faite s'est révélée partielle et décalée (Photo d'illustration)

S’agissant du rapport lui-même, il ne m’a jamais été communiqué officiellement. Je n’ai même jamais été reçu ou contacté par les inspecteurs de l’IGAS alors que ce rapport porte principalement sur la période au cours de laquelle j’ai eu l’honneur de diriger ce CHU. Je me tiens naturellement toujours à leur disposition.

Mon objectif n’est bien sûr pas ici de chercher à minimiser ou édulcorer les difficultés qui ont été et qui sont celles du CHU de La Réunion. Je ne cherche pas non plus à justifier ici a posteriori les décisions que j’ai eues à prendre : l’exercice relèverait précisément d’un échange
contradictoire détaillé auquel il ne m’a pas encore été donné accès. Je ne méconnais pas non plus les efforts d’efficience très significatifs qui ont été faits et ceux qui restent encore à faire.

Je sais ce qu’ils représentent pour celles et ceux qui font vivre le CHU au quotidien au service des patients. Il me semble néanmoins utile, à ce stade, d’apporter quatre éléments d’éclairages complémentaires.

Le premier est un questionnement et porte sur le calendrier de la publication de ce rapport. Ses orientations sont connues de l’établissement depuis novembre. Elles ont été présentées et discutées devant les instances de l’hôpital et Lionel CALENGE s’est même appuyé sur les hypothèses de travail de ce document pour préparer les termes du plan de redressement actuellement en cours de discussion avec le ministère de la Santé. Le sujet n’est évidemment pas le principe même d’une publication, il n’y a aucun souci à une transparence complète sur la gestion du CHU. J’observe d’ailleurs que celle-ci n’aura cessé d’être scrutée depuis 2012 par de nombreux audits externes de l’ARS, de la Cour des comptes, de la Chambre régionale des comptes, des commissaires aux comptes et désormais de l’IGAS. Cette transparence correspond à une exigence juridique et démocratique, dès lors, bien sûr, que le principe du contradictoire est effectivement respecté. Mais pourquoi donc choisir précisément la semaine passée pour procéder à cette publication en organisant une conférence de presse toutes affaires cessantes ? La question mérite d’être posée.

Le deuxième élément que je souhaitais apporter est relatif au contenu même du rapport. Ce document analyse finement l’évolution de la situation financière du CHU et confirme les alertes sur les facteurs de risques pesant sur cette gestion qui n’ont cessé d’être émises par le CHU et ses équipes depuis 2012. Dès la création du CHU, j’ai, en effet, appelé l’attention des autorités de tutelle – régionale et nationale – sur les conséquences pour le cycle de gestion de l’hôpital de deux engagements pris antérieurement à mon arrivée mais non financés : la mise en oeuvre d’un protocole social portant notamment sur la titularisation – trop longtemps différée – de très nombreux agents du CHU et la réalisation des opérations majeures d’investissement du CHU, elles aussi très longtemps retardées.

Ces engagements ont été formalisés dans des protocoles signés avec l’ARS en 2011 et leur principe a été confirmé à de nombreuses reprises après et notamment dans le Contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens signé avec cette même agence début 2013. Ces engagements ont constitué pour moi le socle d’une Parole d’Etat donnée à celles et ceux – acteurs politiques, responsables médicaux et partenaires sociaux – qui ont su, en 2011, dépasser leurs clivages pour accepter la fusion entre les sites Nord et Sud et rendre tout simplement possible l’idée d’un CHU à La Réunion.

Avoir mis en oeuvre ces engagements est un honneur. Je voudrais, par ailleurs, apporter deux rectificatifs factuels à des constats de l’IGAS que, bien sûr, je porterai directement auprès d’elle dès lors qu’elle voudrait bien m’entendre.

Le premier porte sur les opérations d’investissement, essentielles pour la qualité de la prise en charge des Réunionnaises et des Réunionnais, que sont le bâtiment de soins critiques de Saint-Denis et la rénovation du bâtiment central de Saint-Pierre (destiné, en particulier, à mettre fin aux conditions hôtelières dégradées de prise en charge dans les services de médecine du CHU dénoncées par la Haute Autorité de Santé). Non seulement le CHU n’a
pas lancé ces opérations tout seul de sa propre initiative mais leur engagement indépendamment de la procédure dite " COPERMO " a fait l’objet d’une autorisation expresse du ministère de la Santé.

Le deuxième point que je souhaitais relever porte sur les indexations jugée irrégulières de certains régimes indemnitaires : ce constat concernant l’ensemble des établissements hospitaliers ultra-marins, j’avais saisi le ministère de ce point précis dès la formulation de cette constatation dans le rapport rendu par la Chambre régionale des comptes à l’automne 2014. Par transparence, j’avais naturellement informé les professionnels du CHU de cette démarche officielle.

Le troisième élément est relatif au contexte d’exercice des missions du CHU de La Réunion. Ce rapport porte, en effet, exclusivement sur le CHU en donnant le sentiment de le déconnecter à peu près complétement de son environnement d’intervention. Cette approche partielle est trompeuse. Elle oublie, en effet, que la direction et les équipes du CHU ont eu à assumer, sur la demande de l’ARS et du ministère de la Santé, à partir du 1er janvier 2014, le redressement du Groupe hospitalier Est Réunion (GHER) dans le cadre d’une direction commune.

Avec près de 9 M€ de déficit pour un établissement de 80 M€ de budget et une structure d’endettement lestée d’" emprunts toxiques " particulièrement néfastes, l’hôpital était en situation de quasi faillite et ne payait plus ses charges sociales. Alors que toutes les tentatives régionales et nationales précédentes avaient été vaines, nous sommes parvenus à réduire de moitié ce déficit en deux ans, sécuriser une large partie de l’en-cours des emprunts en évitant à l’établissement le paiement d’1 M€ d’intérêts financiers et à consolider très significativement l’offre médicale au service de la population.

Le rapport minore également les effets du soutien apporté par le CHU à la population mahoraise : depuis 2012, le nombre d’évacuations sanitaires depuis Mayotte a très fortement progressé et les missions de professionnels du CHU à Mayotte pour soutenir l’hôpital ont été très significativement renforcées. Dans le même temps, le régime financier de prise en charge à La Réunion des patients mahorais a été dégradé et la créance détenue par le CHU sur l’Etat pour la prise en charge des patients étrangers n’a pas été apurée.

Ce soutien apporté à Mayotte par le CHU, dans le cadre d’un partenariat exemplaire mis en oeuvre depuis 2013, est également une fierté pour le service public hospitalier. Face à la pression massive de l’immigration sanitaire irrégulière principalement venue des Comores que connaît Mayotte, ce concours du CHU, quels que puissent en être les effets sur la situation financière de l’établissement (se situant au moins à l’équivalent du tiers de son déficit actuel), ne se questionne pas sur le principe.

Les professionnels hospitaliers de l’Océan Indien sont, malgré eux, placés au coeur de l’injonction paradoxale de nos politiques publiques qui exigent, dans le même temps, de lutter contre l’immigration irrégulière et de l’autre de prendre en charge les besoins de santé impérieux qui se présentent à l’hôpital mais sans lui en donner les moyens, ni même lui reconnaître ce rôle. Cette question est absolument essentielle pour l’avenir du CHU de la France dans l’Océan Indien.

De la même manière est essentielle la structuration d’un Groupement hospitalière de territoire (GHT) de l’Océan Indien rassemblant les établissements de La Réunion et de Mayotte pour encore renforcer et davantage concrétiser cette solidarité des acteurs de soins. Je remercie Chantal de Singly d’avoir su intégrer cette dimension dans le cadre du pilotage exigeant mis en oeuvre par la direction de l’ARS Océan Indien.

Ce constat d’une nécessaire prise en compte des effets de ce contexte Océan Indien avait été, en outre, largement étayé par le rapport établi mi-2016 par la mission sénatoriale mandatée à cet effet. Cette approche est également nécessaire pour faire rayonner l’excellence de notre système de santé français dans la zone Océan Indien ; cette logique d’ouverture et de valorisation de nos savoir-faire en santé étant, en
outre, source d’effets économiques très positifs pour le développement du territoire réunionnais.

Cette avancée majeure, initiée fin 2014, qu’est le groupement hospitalier de territoire Océan Indien a pu être concrétisée mi-2016 dans le cadre des dispositions de la loi de Santé de janvier 2016. Le Gouvernement s’en était d’ailleurs félicité à l’époque. Or, ce rapport de l’IGAS en se centrant uniquement sur le CHU seul, en l’isolant " chimiquement " de son contexte Océan Indien et des moyens qu’il mobilise en appui des autres établissements hospitaliers, constitue – espérons-le involontairement… – un formidable repoussoir à l’engagement du CHU dans cette logique de groupement. Je crois profondément qu’il ne faut pas céder à la tentation du repliement sur soi, sinon l’ambition initiale de la création d’un CHU à La Réunion, sa raison d’être même, serait reniée.

Le rapport méconnaît, enfin, une singularité forte du CHU de La Réunion : il a été, sur les 32 CHR et U français, l’un des moins aidés financièrement depuis 2012. Je forme le voeu que le constat de la difficulté de l’exercice hospitalier ultra-marin et de la nécessité d’aider enfin le CHU puisse être aussi partagé pour La Réunion. C’est d’une approche globale pour la Santé dans les Outre-Mer dont nous avons besoin, ainsi que la Cour des comptes l’avait montré dans son rapport établi fin 2014 sur ce sujet et qui avait donné lieu à des développements importants consacrés à l’Océan Indien. C’est le sens de l’engagement que nous avions porté, depuis l’Océan Indien mais également à Paris dans le cadre des travaux de la Fédération hospitalière de France, pour la construction d’une Stratégie de Santé pour les Outre-Mer.

Cet engagement a conduit à la proposition d’amendements reconnaissant le rôle des établissements hospitaliers ultra-marins dans la loi de Santé de janvier 2016. Cette stratégie de Santé a été annoncée par le Gouvernement au mois de mai de 2016 avec, à la clé, un plan d’aide pour les établissements ultra-marins annoncé à hauteur de 2 Md€. C’est encore une Parole d’Etat.

J’espère qu’elle pourra se concrétiser. Accompagner et relayer favorablement le premier dossier de soutien initié mi-2015 par l’établissement en vue d’un passage en COPERMO aurait été un signal en ce sens. Cela n’avait pas été le cas. Mais il n’est pas encore trop tard : Calenge et le Pr Frédérique Sauvat, Présidente de la CME du CHU et leurs équipes ont su construire un dossier solide et réaliste qui doit désormais pouvoir être soutenu.

Depuis un an que j’ai quitté mes fonctions au CHU de La Réunion, je n’ai pas manqué de défendre et relayer ses projets auprès des interlocuteurs nationaux. Ce soutien au CHU est un devoir à l’égard des patients réunionnais et des professionnels hospitaliers. Mais pour pouvoir porter ces projets, il faut un engagement constant. Ce CHU fait aujourd’hui l’objet d’un très large soutien politique local et il faut tout faire pour continuer à le faire vivre.

Dans ce cadre, la fonction de Président du Conseil de surveillance est essentielle pour exercer l’ensemble des compétences prévues par la loi mais aussi pour fédérer, accompagner et convaincre nos autorités de la pertinence des projets du CHU. Bernard Von Pine n’a malheureusement pas su ou voulu exercer suffisamment cette partie de la fonction et a marqué à de nombreuses reprises ses réticences voire ses oppositions aux orientations nationales et régionales ainsi qu’aux projets majeurs portés par le CHU (fusion Nord-Sud, direction
commune avec le GHER, renforcement du partenariat avec Mayotte, plan de retour à l’équilibre présenté par la direction en 2015…).

Je veux rendre hommage aux professionnels du CHU : leur dévouement au service des patients est exemplaire dans ce contexte souvent difficile. Je sais qu’avec Lionel Calenge – qui, depuis un an, fait face, avec les professionnels, sur le terrain, avec courage aux difficultés et aux attaques – ce CHU est dirigé par un responsable compétent et qui sait dialoguer avec toutes ses équipes. Celles-ci savent également, elles l’ont déjà montré par le passé, répondre aux contextes les plus difficiles et placer toujours au premier rang des priorités la qualité de la prise en charge des patients et les valeurs du service public hospitalier.

Formidable levier d’innovation en santé et ayant déjà obtenu des résultats exceptionnels en si peu de temps dans les domaines du soin, de l’enseignement et de la recherche, le CHU de La Réunion, fruit d’une longue gestation et dont le chemin sur les premières années de sa courte vie n’a pas été exempt d’obstacles, mérite tout simplement d’être défendu.

David Gruson

Ancien directeur général du CHU de La Réunion

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