Plaisir de lire - Les enquêtes de l'inspecteur Higgins

Deux polars entre fantastique, égyptologie et art lyrique

  • Publié le 23 novembre 2014 à 05:15

"La vengeance d'Anubis" et "L'assassinat de Don Juan" sont les deux derniers romans-policiers signés par Christian Jacq, égyptologue et romancier mondialement connu. Ils ont pour héros le flegmatique inspecteur (ER) Higgins, qui, s'il a quitté Scottland Yard, se voir régulièrement rappelé pour résoudre des énigmes particulièrement résistantes. (photo D.R.)

Révérence à Christian Jacq, authentique égyptologue et prolifique romancier. Cet auteur des plus accessibles, a utilisé son savoir pour populariser l'Egypte pharaonique, ses mystères et légendes, par la grâce de romans historiques au succès planétaire. Mais l'archéologue romancier est aussi un grand amateur de "polar", qui a publié bien des écrits sous des pseudonymes divers, tels que J. B. Livingstone, Christopher Carter ou Célestin Valois… Parmi les trésors de sa création, la série consacrée aux enquêtes de l'inspecteur Higgins, qui fait l'objet d'une réédition-recréation aux éditions J. 15 aventures du très british inspecteur-chef Higgins ont été publiées dans une présentation attrayante, dont les plus récentes sont "La vengeance d'Anubis", et "L'assassinat de Don Juan" qui vient de paraître. Des polars à l'anglaise, qui font révérence à Agatha Christie - qui fut l'épouse d'un archéologue - et respectent les canons du genre, à commencer par les personnages, très typés. Ainsi, le héros, l'inspecteur-chef Higgins, qui pour être un fin limier de Scotland Yard, n'en a pas moins pris une retraite anticipée du fait de méthodes jugées un brin décalées.
 
En ces temps de police scientifique, et d'experts, qui semblent autant de prolongations froides de laboratoires d'analyses, l'attirail de de l'inspecteur Higgins fait plutôt " vintage " : un carnet noir en moleskine, un crayon Staedler Tradition B, sans oublier ordre, méthode et intuition… Ce retraité très actif, qui vit dans son cottage des Slaughterers, avec " son chat Trafalgar et sa gouvernante Mary, âgée de 70 ans depuis toujours ", est un Anglais atypique qui n'aime pas même le thé ! Higgins pourrait couler des jours tranquille chez lui, mais… son ex-collègue et ami, le superintendant Scott Marlow, certes plus moderne que lui s'agissant des méthodes, est régulièrement confronté à des affaires irréductibles à sa perspicacité. Soumis à la pression conjuguée de sa hiérarchie, de la presse et de l'opinion, il fait appel, en désespoir de cause à un Higgins d'autant plus heureux de sortir de sa retraite qu'il peut agir en totale liberté du fait de son statut d'indépendant… Il conduit ainsi à sa façon les enquêtes sur lesquelles il travaille, quitte à se heurter à la bonne société et à des réseaux d'influence occultes. L'efficacité de Higgins repose entre autres sur son cercle d'amis, un légiste pilote de side-car et amateur de "war birds", un universitaire érudit, un banquier passionné d'affaires criminelles… tout un club de gentlemen amateurs de sensations intellectuelles fortes.
 
Higgins, son carnet noir, son crayon, l'ordre, la méthode et l'intuition…
 
L'auteur entretient avec son personnage une relation de complicité dénuée de tout soupçon de schizophrénie : " Je l'avoue, Higgins, ce n'est pas moi… Il est beaucoup plus intelligent que moi, et il me fascine. Il est complètement décalé… j'ai "romantisé" le personnage que j'ai connu, un personnage réel, et l'ultime déclic ça a été le personnage de l'inspecteur dans Le crime était presque parfait, de Hitchcock ", avec sa petite moustache, très élégant, très calme, disant : " Mais comment j'ai pu ne pas comprendre ça… " Il s'agit en fait de l'acteur John Williams dans le rôle de l'inspecteur-chef Hubbard.
De fait Higgins sonne juste et renvoie à des échos littéraires précis.
 
" Il faut être avec lui, d'aucuns suivent l'enquête avec ses yeux, d'autres cherchent à trouver… Je ne nie pas l'importance de la police scientifique, des ordinateurs, toujours en panne… Higgins, lui, c'est son carnet noir, son crayon, l'ordre, la méthode et l'intuition… Les grandes séries qui marchent, Les Experts… l'ADN et tout ça, me lassent un peu… Ce sont les machines qui décident et puis, ça n'est pas toujours vrai, c'est magnifié, accéléré… Higgins est de ce temps, de ce monde, mais, je m'arrange pour qu'avec tout ce luxe de technologie on ne puisse pas trouver… Il n'y a que Higgins qui peut trouver. C'est une qualité première… Et il y a aussi l'humanité du personnage, son amour des roses, de la nature, sa politesse d'un autre temps. Higgins est un homme qui incarne des valeurs. Même les jeunes lecteurs sont touchés par ça. En conséquence de quoi les Higgins sont écrits de façon très classique, pas de gros mots, ça me déplaît et puis ça fait vieillir les gros mots. Faire un polar noir avec de la drogue et tout ça ne m'intéresse pas. Moi, j'essaie de trouver des intrigues, des thèmes qui ne vieillissent pas, trop… j'essaie de fédérer, les lecteurs, des générations très différentes. C'est classique, mais dans 100 ans ça le sera toujours peut-être… "
 
Christian Jacq-auteur de polars, c'est un moment de sa carrière romanesque qu'il assume, via les publications familiales de J Editions : " Ma fille est tombée sur les livres que j'avais édités sous pseudonyme et m'a dit " Papa, il serait temps que tu dises que c'est toi qui les as écrits… " A l'époque de leur rédaction, j'étais à l'Université, dans l'édition aussi, et je travaillais déjà à mes grands romans. Les " Higgins ", c'était pour m'amuser, une détente mais pas seulement, car je me disais, cette veine du roman policier classique à la Sherlock Holmes, elle n'existe plus… Et la rencontre avec Higgins, car il y a eu rencontre, a déclenché tout ça… "
 
Banal assassinat ou sacrifice rituel ? 
 
L'auteur ne se limite pas à une simple réédition. Christian Jacq, lorsqu'il se relit, n'est pas satisfait de lui-même, et il se réécrit, " car il y a des passages qui ne conviennent plus, pas en terme d'architecture, ni de scénario, car tout y est réglé, j'ai en effet horreur qu'on me sorte un lapin du chapeau, des personnages qu'on n'a pas vu… Comme lecteur je me sentirais floué par de telles façons. Sans doute est-ce mon côté universitaire qui ressort, mes synopsis posent une architecture quasiment scientifique… Et le lecteur dispose de tous les éléments pour trouver… sauf qu'il ne peut pas trouver… " Christian Jacq est tout heureux de ce bon tour qu'il joue à ses lecteurs. De fait il faut être rudement malin pour doubler Higgins et son démiurge. Nous citions Agatha Christie plus haut, Christian Jacq s'y réfère aussi, de plaisante manière : " Avec Agatha Christie, nous avons un point commun, les idées nous viennent dans le bain, ou sous la douche… "
 
M. Jacq doit passer beaucoup de temps dans l'eau si l'on se fie à ses réserves de sujets. " J'avais gardé dans mes cartons une centaine d'intrigues, plus ou moins élaborées. Quitte à rendre la vie à Higgins, j'ai dit à ma fille, j'en fais quatre par an… Deux rééditions et deux créations (…) Nous avons lancé J Editions et ça marche bien. Un public fidèle en train de s'installer, les livres sont sans cesse réassortis… je mise sur le long terme… " Ce qui n'est pas étonnant venant d'un auteur qui a fait son miel de 3.500 ans de culture égyptienne.
 
Enfin, clin d'œil aux amateurs de séries-culte, Higgins, rappelle par certains côtés son homonyme de la série Magnum ; Jonathan Quayle Higgins III, propriétaire des dobermans, Zeus et Apollon, est un homme tiré à quatre épingles, d'un chic intemporel, à la moustache poivre et sel soigneusement lissée, légèrement frileux pour avoir passé sa jeunesse en Orient, et de fait très attaché à son " tielocken ", l'ancêtre du trench-coat (manteau des tranchées) dessiné par Burberry pour la Seconde Guerre des Boers… Chic, élégant, Higgins est encore infiniment poli, ce qui ne le rend pas moins efficace et dangereux pour les suspects dont il endort la méfiance. 
Dans "La vengeance d'Anubis" (J Editions Mai 2014), Christian Jacq flirte avec une autre influence que celle de cette chère Agatha, ce qui pimente son roman d'un zeste d'étrangeté. L'intrigue situe l'action à Londres, où une exposition exceptionnelle est consacrée aux trésors de Toutânkhamon. Le jeune pharaon doit sa célébrité à la découverte de sa sépulture par Howard Carter, le 4 novembre 1922, au fabuleux trésor qu'elle recelait et… à la légende d'une malédiction du pharaon qui aurait frappé successivement les archéologues ayant violé son tombeau.
 
Une foule curieuse et impressionnée assiste à la promenade sur la Tamise d’une statue géante du dieu Anubis à tête de chacal qui est conduite jusqu’à la National Gallery. Mais on découvre un cadavre dans la statue du dieu, et le doute plane sur les conditions et motivations de ce qui paraît être un meurtre : banal assassinat ou sacrifice rituel ? L'enquête de Higgins et Marlow se focalise sur ceux qui ont mis en œuvre le projet d'érection de la statue du guide des morts antique. Et la résolution de cette énigme se produit dans un pur contexte fantastique, mais à rebours de la mécanique mise en œuvre par l'Edgar Allan Poe de "Double assassinat dans la rue Morgue" traduite en français, en 1856, par Charles Baudelaire (Histoires extraordinaires). Ce faisant l'auteur respecte les canons du ce genre littéraire dans lequel se sont illustrés les plus grands auteurs français : le Mérimée de La Vénus d'Ile, Zola (La Peau de chagrin), Maupassant (Le Horla), Villiers de l'Isle Adam (Véra)…
 
Avec "L'assassinat de Don Juan" (J Editions Octobre 2014), Christian Jacq déplace le champ d'investigation de Higgins vers les fastes de l'opéra et l'univers flamboyant de Wolfgang Amadeus Mozart. Le Glyndebourne Opera Festival (Sussex), qui fut à Mozart ce que Bayreuth est à Wagner, servant de décor à tragédie lyrique. L'action tourne autour du meurtre, en cours de spectacle, du baryton Pietro Luigi, vedette frelatée, qui incarne le Don Juan de Mozart, devant un auditoire cosmopolite de mélomanes avertis. Au comble de la tension, lors de la rencontre entre un Don Juan au comble de la provocation et la statue du Commandeur, Don Juan s'effondre, raide mort… Higgins mozartien averti, comme Chritian Jacq, se trouvant sur les lieux suite aux menaces reçues par le baryton, se trouve donc lancé dans une enquête délicate où son sens artistique sera quelque peu froissé par les mesquineries et les haines du milieu de l'art lyrique.
 
Et pour ceux qui resteraient sur leur faim s'agissant de Mozart, Christian Jacq a publié en 2006 une série-biographie de Mozart en quatre tomes, où l'on retrouve au travers de la trajectoire de franc-maçon du prodige Mozart, initié à l'âge de 28 ans, les symboles et mystères d'une Egypte fantasmée.
 
Philippe Le Claire pour www.ipreunion.com
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