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Venezuela: pour oublier la crise, place à l'humour

  • Publié le 3 janvier 2017 à 12:15

Mariana Oquendo, infirmière dans un hôpital de Caracas, se désespère de voir mourir des patients par manque de médicaments basiques.

Mais ce soir elle abandonne sa blouse blanche pour aller à sa propre thérapie : un spectacle de monologues humoristiques.
Pendant deux heures, elle oublie à coups de fous rires son angoisse de devoir faire la queue chaque jour pour acheter des aliments.
Comme elle et Enrique, son collègue de l'hôpital Vargas qui l'accompagne, des groupes d'amis et plusieurs couples ont payé une somme modique pour que quatre jeunes les fassent rire en se moquant des difficultés quotidiennes ou du climat politique tendu.
"On est venu se distraire, rire, car la situation à l'hôpital est pathétique. Il y a des cas de patients qui m'affectent beaucoup, mais aussi le quotidien" dans ce pays en crise, raconte cette infirmière de 31 ans.
Asphyxié par la chute des cours du pétrole, son unique richesse, le Venezuela manque de farine, de papier toilette ou d'antibiotiques... mais pas d'humour, comme un moyen d'oublier la situation dramatique ou de critiquer avec le sourire le gouvernement socialiste du président Nicolas Maduro.
Dans les rues du pays sud-américain, les habitants plaisantent souvent sur les bienfaits du "régime de Maduro", qui permet de rester mince car il n'y a rien à manger.
Sur internet, les "memes" détournant l'image du président se multiplient : quand il a lancé son émission dédiée à la salsa, on l'a vu dansant au milieu des files d'attente face aux magasins. Quand il a annoncé le retrait surprise du billet de 100 bolivars, on a vu ce dernier représenté comme du papier toilette ou comme décoration d'arbres de Noël.
Et les Vénézuéliens sont aussi nombreux à accourir aux spectacles de stand-up comédie qui se sont multipliés dans les théâtres de Caracas.
- 'L'humour nous sauve' -
"Venir au théâtre, c'est chercher un peu de santé mentale au milieu du chaos", confie Wilfredo Boada, architecte de 59 ans qui assiste à la même représentation que Mariana et Enrique.
Dans la salle comme sur scène, les problèmes sont les mêmes : Veronica Gomez, l'une des comiques se présentant ce soir-là, souffre des rationnements d'eau depuis un an et se bat pour trouver des médicaments pour un proche atteint de cancer.
"L'humour nous sauve d'une vie dans la misère d'esprit absolue", assure cette femme énergique de 33 ans.
Même si elle avoue se sentir "dévastée" par la crise, Veronica se lève tôt chaque matin pour que les Vénézuéliens se réveillent en riant, grâce à son programme de radio, "Calme, peuple", qui est l'un des plus écoutés du pays.
Avec deux autres humoristes, Manuel Silva et José Rafael Guzman, elle s'amuse de l'actualité... et même si les autorités censurent parfois leur travail, cela ne les a pas empêchés de dédier une chanson à Nicolas Maduro pour son anniversaire, dans laquelle ils se moquaient des deux neveux de sa femmes, condamnés aux Etats-Unis pour trafic de drogue.
"Sur le ton de l'humour, nous dénonçons tout ce que nous voyons", dit José Rafael.
Mais "nous savons que nous dérangeons (le gouvernement) même si nous nous en prenons aussi à l'opposition", ajoute Veronica, qui précise qu'il n'y a qu'une personne dont il ne leur viendrait pas à l'esprit de ricaner : le défunt ex-président Hugo Chavez (1999-2013).
- 'Une arme' -
Pour avoir osé railler le dirigeant socialiste et une de ses filles, l'humoriste Laureano Marquez avait fini devant les tribunaux.
"L'humour est une arme de l'être humain pour les moments de difficultés extrêmes et surtout d'absence de liberté", explique ce comédien qui est sans doute l'un des plus respectés au Venezuela.
Et donc "ce n'est pas un hasard que ce soit une des activités les plus florissantes du pays".
Avec son spectacle "Laureano au Pays des merveilles", ce politologue de 53 ans espère provoquer un sursaut chez les spectateurs, pour qu'ils réagissent face à la réalité.
"Nous passons un très mauvais moment. C'est pour ça qu'on rit, non pas avec le rire imbécile de celui qui rit de sa tragédie, mais avec le rire pensif de celui qui réfléchit à travers l'humour pour intervenir et changer" la situation, affirme-t-il.

Par Farah ABADA - © 2017 AFP
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